L'histoire du Packet Par Jacques VA2JOT
Par Pur Hasard
A l'automne de 1977, je décidais de rompre 10 années d'inactivité en radio-amateur par
l'acquisition d'un appareil 2M, un Icom 22S. J'habitais le vieux Montréal, inutile de
penser au HF. Le hasard fait bien les choses parfois.
C'est à l'écoute du répéteur VE2REP que j'entendis un de ces bons soirs, une conversation
très animée traitant de la dernière proposition du Directeur-Général, Réglementation du
Département des Communications, le docteur John de Mercado. Ce dernier venait de secouer
la communauté radioamateur avec une proposition concernant l'utilisation de la bande de
220MHz à des fins d'expérimentation en transmission numérique.
Bob Rouleau (VE2PY) et Norm Pearl (VE2BQS) discutaient à la fois de la faisabilité
d'implanter de la modulation numérique tout en critiquant vertement le Dr de Mercado
pour avoir remis en question les droits des radioamateurs sur la bande de 220 MHz.
C'est seulement avec le temps que nous avons découvert les deux motifs derrière son
intervention; Elle visait d'abord à provoquer de l'activité sur la bande afin de contrer
la demande de nouveau spectre par les opérateurs commerciaux privés de radio-mobile (PMR).
Le deuxième objectif étant de créer un climat propice à l'expérimentation sur des
nouvelles techniques de modulation numérique; John de Mercado avait participé au projet
Aloha de l'Université d'Hawaii, il était une des rares personnes qui savait exactement
ce qui était réalisable à cette époque en matière de transmission de données par radio.
Malheureusement, peu d'amateurs canadiens partageaient sa vision, il était plutôt perçu
comme un renard qu'on venait de lancer dans un poulailler.
De mon coté, j'étais loin d'un expert en design de radios; j'en avais appris juste
assez pour obtenir mes certificats de radioamateur; Un point c'est tout. Par contre,
je me défendais assez bien en matière de transmission de données; j'occupais à ce
moment le poste de directeur du soutien technique en transmission de données pour
une société canadienne de télécommunications. Je me sentais déjà très à l'aise avec
des termes tel que QAM, QPSK et FSK ainsi qu'avec les technologies émergeantes de
transmission par paquets à l'aide du protocole X.25.
C'est ainsi que le bal a débuté, suite à un "break-in" de ma part pour commenter une
conversation entre Bob et Norm concernant les divers modes de modulation. "Y'a rien
de compliqué la-dedans" leur dis-je, je peux tout vous expliquer. Une longue pose
s'en suivit, ils devaient se demander s'ils avaient affaire à un illuminé ou bien à
quelqu'un qui s'y connaissait vraiment (peut-être les deux?).
Ce qui s'en suivit fait maintenant partie de l'histoire, Bob Rouleau, un rassembleur-né,
réussit sans trop de mal a me convaincre de joindre l'équipe afin de démontrer la
faisabilité de la transmission numérique par radioamateur.
Le défi n'était pas d'inventer quoi que ce soit; Le projet Aloha en avait fait la
preuve. Le vrai défi fut de démontrer que c'était possible de ce faire avec des moyens
budgétaires à la portée des radioamateurs. Le projet Aloha avait jouit du soutien
financier et technique de l'Advanced Research Packet Network (ARPANET) un consortium
formé entre la machine de guerre de l'Oncle Sam et les principaux centres de recherches
universitaires américains. Nous ne disposions que de notre argent personnel pour arriver
aux même résultats. Le défi était de taille pour l'époque.
L'emphase fut mise d'abord, sur l'adaptation d'un tranceiver FM à un modem conçu pour
opérer sur liens dédiés. Norm Pearl, alors étudiant en génie électrique à McGill, pris
les choses en-main et en quelques semaines, nous étions en mesure de moduler et surtout,
de démoduler sans qu'il y ait trop de corruption des données et ce, avec des radios
conçus exclusivement pour la voix. L'étape suivante était moins simple, nous devions
aussi disposer de mécanismes automatiques de détection d'erreurs et de retransmission.
N'oubliez pas qu'a cette époque, le PC n'avait pas encore été inventé.
J'ai du faire appel à plusieurs reprises à des confrères radioamateur impliqués
professionnellement dans le domaine de la transmission des données afin de pouvoir
disposer de certaines pièces d'équipements de laboratoire sans lesquelles nous aurions
pu tourner en rond pendant très longtemps.
Nous avons donc pu disposer d'un terminal de Control Data Corp., muni d'une carte pour
opérer en réseau multipoint 85A1 (Protocole de AT&T) avec un simulateur de protocole
programmable d'Atlantic Research Corp. En dedans de quelques jours (et nuits) seulement,
nous étions déjà en mesure de transférer des messages entre le terminal et une imprimante,
ainsi que récupérer automatiquement les paquets de données corrompus par de l'interférence
provoquée par nos propres HT. Nous étions donc en mesure d'en démonter la faisabilité technique.
C'est ainsi qu'à l'aide de l'équipement décrit ci-haut, que le soir du 31 mai 1978, lors
d'une réunion extra-ordinaire du MARC au Restaurant Bill Wong du Boulevard Décarie à
Montréal, eut lieu la première transmission "officielle" de données sans fils par des
radioamateurs, en présence du Dr John de Mercado. Bien que nous venions d'en démontrer
la faisabilité, le plus gros du travail restait à faire car nous avions eu recours à
plusieurs dizaines de milliers de dollars d'équipements comme " colle " (glueware) entre
les diverses pièces d'équipement.
Le reste de l'année fut consacré à "vulgariser" le design en simplifiant à outrances la
technologie. Nous dûmes construire nous-mêmes près d'une dizaine de systèmes de
micro-ordinateurs de South-West Scientific Technologies modèle 6800, concevoir et
construire les cartes I/O pour contrôler le radio ainsi q'une carte modem basée sur
des puces Exxar 2211/2209 pour ensuite adapter tout ça à l'environnement radio.
Ajoutez en plus des centaine d'heures de programmation et de déverminage de progiciel.
Ensuite vint le défi de "créer" et peaufiner la structure de la trame radio ainsi que
le protocole de détection/récupération de paquets corrompus.
A l'automne de 1978, nous avions relevé le défi. Pour moins de $ 1,000 par station
incluant la radio, nous avions démontré qu'il était possible de se lancer dans la
transmission numérique sans fil. Au début de l'hiver, nous diposions même d'une nœud
(répétitrice en mode store-and-forward basée sur un Intel 8080) numérique sur le Mont
Rigaud qui nous permettait d'établir une liaison fiable avec le confrère d'Ottawa, Ted
Baleshta VE3CAF. Le premier réseau radioamateur inter-provincial de commutation par
paquets venait de naître après un peu moins de deux années d'efforts qui avaient
monopolisés la majorité de nos temps libres.
En 1979, Bob Rouleau, conscient d'une opportunité d'affaires se lança dans l'aventure
fondant l'entreprise qui devint en 1982, Dataradio Inc. Au fil du temps, elle est devenue
chef de file comme concepteur, fabricant et intégrateur nord-américain de systèmes des
données mobiles sur réseaux privés de radio. C'est en juillet 1997, lors de la mission
Pathfinder sur la planète Mars que le monde découvrit q'une PME du Québec avait conçu
et réalisé la technologie du lien de radio-télémétrie entre la base et le robot Mars Rover.
Aujourd'hui, Dataradio emploie plus de 150 personnes réparties entre le bureau-chef et
centre de R&D à Montréal ainsi qu'à Atlanta et Minneapolis aux USA. L'équipe originale
qui fit la démonstration de la faisabilité est demeurée presque intacte. À l'exception
de Fred Basserman (VE2BQS) qui créa une bonne partie du code, ce dernier est retraité
du CN., les autres pionniers travaillent tous aux côtés de Bob Rouleau, PDG de Dataradio.
Norm Pearl, VE2BQS est V.-P. en charge de l'Ingénierie
Bram Frank, VE2BFH est Directeur des Ventes à l'International
Jacques Orsali, VA2JOT (ex VE2BHY et VE2EHP) a récemment pris sa retraite en tant
que Directeur du Développement mais conserve toujours un " pied dans la porte ".
Je tiens à remercier très particulièrement Guy Lemieux, VE2BWL, ainsi que Serge
Robillard, VE2BOO mes anciens patrons chez Bell, pour leur collaboration (volontaire
ou autrement) et surtout pour avoir toléré l'emprunt d'équipements d'analyse de
laboratoire sans lesquels nous n'aurions peut-être pas réussi.
Cette aventure démontre bien que l'expérimentation en radioamateur est loin d'être
un mythe et que les retombées en dépassent souvent l'imagination.
Jacques, VA2JOT
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